Quand la science confirme le bien-fondé de l’usage traditionnel d’un miel monofloral

Dr Claude Nonotte-Varly (MD et président de l’AFA)
Tous les médicaments sont dans les fleurs, toutes les fleurs sont dans le miel ?Aristote aurait dit « Tous les médicaments sont dans les fleurs, toutes les fleurs sont dans le miel ». Mais il énonce par ailleurs sur l’origine du miel « le miel est une substance qui tombe de l’air, principalement au lever des étoiles et quand s’incurve l’arc en ciel. En général, il n’y a pas de miel avant le lever des Pléiades ». Cette croyance sur l’origine du miel, une rosée aérienne sans lien avec les fleurs et leur nectar, remonte sans doute à une époque bien antérieure à Aristote, et elle traversera toute l’antiquité (Byl Simon, Aristote et le monde de l’Abeille, 1978, p: 23)
Malgré cette apparente contradiction sur l’origine florale, ou non, du miel pendant l’Antiquité et selon la propre théorie aristolienne sur la cause efficiente, c’est bien l’abeille qui compose le miel ! Bien sûr, aujourd’hui, nous avons la certitude et la démonstration que le miel de nectar provient du butinage de la fleur par l’abeille.
Par contre, malgré l’usage traditionnel des miels, la démonstration des propriétés des miels monofloraux en fonction de leur origine florale n’est pas clairement établie. En fait, le lien entre les propriétés phytothérapeutiques d’une plante et les qualités apithérapeutiques du miel issu du nectar de cette plante est complexe à mettre en évidence.
 
L’arbousier (Arbutus Unedo) et son miel bien caractéristique
Par exemple, l’arbousier (Arbutus Unedo) comporte 168 composants phytochimiques identifiés dans 29 articles scientifiques, dont les propriétés pharmacologiques décrites dans 37 publications scientifiques sont : antibactériennes, antifongiques, antiparasitaires, antiaggrégantes plaquettaires, antidiabétiques, antihypertensives, antitumorales, antioxydantes et anti-inflammatoires. D’autre part, 7 références scientifiques énoncent des usages traditionnels de l’arbousier dans des applications rénales, gastro-intestinales, dermatologiques, urologiques, cardio-vasculaires, contre l’hypertension et le diabète. Cependant, rares sont les liens établis entre composants phytochimiques, actions pharmacologiques et usages traditionnels en phytothérapie ou en apithérapie.
Différentes parties d’une plante peuvent être utilisées pour la confection d’extraits pour la phytothérapie : racine, feuille, bourgeon, tige, écorce… Admettons dans l’idéal que la propriété phytothérapeutique d’une plante repose sur un principe actif bien défini à travers une propriété pharmacologique unique.
 
Le composé phytochimique doit être présent dans le nectar et le miel
Pour que le miel de nectar de cette plante partage la même propriété apithérapeutique, il est nécessaire que le composé phytochimique soit présent dans le nectar et ensuite dans le miel de nectar. Rappelons que le nectar est avant tout une récompense pour les pollinisateurs pour favoriser la reproduction de la plante. Il est composé d’eau sucrée et de bactéries fructophiles. En quoi le composé phytochimique est un facteur positif pour la plante pour qu’elle le sécrète dans le nectar par les glandes nectarifères ? Est-ce un avantage pour attirer les pollinisateurs ? Par exemple, le nectar de fleur d’arbousier comporte de l’acide abscissique (acide 2-cis-4-trans-abscissique). Cet acide est une phytohormone de la famille des sesquiterpénoïdes. Chez les végétaux, il est anti-stress et antagoniste des gibbérillines car il favorise les dormances des graines et bourgeons. Or, selon les études, l’acide abscissique est favorable à l’abeille car il renforce la réponse immunitaire, améliore le temps de guérison des blessures, la tolérance aux températures froides et il accroit l’activité de butinage. Il est donc positif pour l’abeille et sa présence dans le nectar de fleur d’arbousier un avantage pour la fleur pour attirer l’abeille pollinisatrice. En améliorant la résistance aux températures froides et l’activité de butinage des abeilles, l’arbousier qui fleurit en période froide entre octobre et décembre, où les colonies sont faiblement peuplées, favorise sa pollinisation.
Ensuite, pour ne pas perdre la propriété pharmacologique, le composé phytochimique doit être présent dans le miel issu du nectar butiné. Ainsi, celui-ci ne doit pas être métabolisé et dégradé par les différentes sécrétions et enzymes de l’abeille au cours de la trophallaxie, de la maturation du miel et de la conservation du miel.
Au cours de la maturation, la déshydratation du miel peut de plus engendrer une augmentation de la concentration du composé et donc son impact pharmacologique.
 
L’acide abscissique un composé phytochimique actif sur la glycémie
Le miel d’arbousier est un produit connu des régions méditerranéennes qui se caractérise par son goût amer. L’acide abscissique est présent en quantité dans ce miel de nectar quels que soient le lieu et l’année lorsque l’apiculteur le récolte entre octobre et décembre (Deiana V et al, 2016). Cette molécule constitue même un marqueur floral majeur du miel d’arbousier (Tuberoso CIG et al, 2010). Sa concentration est d’environ 110 +/- 30 mg par kilogramme de miel, soit 110 microgrammes dans 1 gramme de miel d’arbousier (Deiana V et al, 2016).
Or, quelques microgrammes d’acide abscissique améliorent la tolérance au glucose et réduisent l’insulinémie chez le rat et l’homme (Magnone M et al, 2015). Dans ce travail, des volontaires humains ont effectué un test oral de tolérance au glucose ou un petit-déjeuner et un déjeuner standard, accompagné ou non d’une dose de 0,50 ou de 0,85 microg/kg d’acide abscissique extrait de fruits. Le glucose plasmatique, l’insuline et l’acide abscissique ont été mesurés à différents moments. L’acide abscissique par voie orale à raison de 0,5 à 1 microg/kg a considérablement réduit la glycémie et l’insulinémie chez l’homme. Ainsi, l’effet hypoglycémiant de l’acide abscissique à faible dose in vivo ne dépend pas d’une augmentation de la libération d’insuline. Les auteurs concluent que l’apport d’acide abscissique à faible dose peut être proposé comme aide à l’amélioration de la tolérance au glucose chez les patients diabétiques présentant une déficience ou une résistance à l’insuline. Ces résultats sont confirmés par un autre étude chez l’homme (Atkinson F et al, 2019). En outre, la cible cellulaire de l’acide abscissique serait le récepteur activé par les proliférateurs de peroxysomes (PPAR) selon un mécanisme d’action identique à la classe des thiazolidinediones qui sont des médicaments antidiabétiques (Bassaganya-Riera J et al, 2010). Or, comme vu plus haut, une dose infime de miel d’arbousier, un gramme, apporte en moyenne 110 microgrammes d’acide abscissique qui suffisent amplement à couvrir un apport d’acide abscissique par repas de 1 microg/kg de poids corporel. D’ailleurs, il a été montré que l’apport d’un gramme de miel d’arbousier par kg de poids corporel chez des rats rendus diabétiques par la streptomycine entraine une diminution statistiquement significative de la glycémie (Touzani S et al, 2022).
 
La science permet de confirmer le bien fondé de l’usage traditionnel d’un miel
Par ces faits scientifiques décrits, il est montré un lien entre une propriété phytothérapeutique (action antidiabétique) de l’arbousier, et la même propriété apithérapeutique du miel d’arbousier.
Par cet exemple, il est montré que des liens peuvent être établis à la lumière des connaissances scientifiques actuelles entre composants phytochimiques, actions pharmacologiques et usages traditionnels parfois ancestraux en phytothérapie et apithérapie
 

 

La cire d’abeilles et ses différentes utilisations pour l’abeille ou l’homme  

Garance Di Pasquale (PhD et membre du conseil scientifique de l’AFA)

Dans la nature, les abeilles construisent leurs nids dans des endroits à l’abri et en hauteur comme dans les arbres, les cheminées, ou derrière un volet fermé, pour assurer leur sécurité. Les ruches sont des nids artificiels mis à disposition par des apiculteurs pour permettre aux abeilles de s’abriter et de satisfaire leurs besoins biologiques. A l’intérieur des ruches, les abeilles construisent de nombreuses alvéoles hexagonales pour contenir les larves et les ressources alimentaires tels que le miel et le pollen.

 
La cire est le matériau de construction et d’operculation de ces cellules
La cire d’abeille est produite sous forme d’écailles par les abeilles âgées de 10 à 20 jours, à partir de leurs réserves lipidiques présentes dans l’abdomen et grâce à leurs glandes cirières.
Ces écailles transparentes, de quelques millimètres, sont récupérées par ces bâtisseuses qui vont les mastiquer, y incorporant des substances salivaires/glandulaires afin de faciliter leur manipulation, mais aussi un peu de pollen, de miel et de propolis, qui donne à la cire sa couleur jaune et ses propriétés. Produire et confectionner de la cire demande à l’abeille beaucoup d’énergie, elle devra donc consommer 7 à 10 kg de miel, source de glucides et un peu de protéines apportées par le pollen, pour élaborer 1kg de cire.
La qualité de la cire dépendra donc en partie des ressources alimentaires disponibles autour de la colonie, car plus une abeille est alimentée en quantité avec des produits de qualité, plus elle a de chance d’être en bonne santé et d’avoir des réserves lipidiques de qualité, lui permettant de produire de la cire de qualité.
 
La production de cire dépend de nombreux facteurs
Elle est notamment favorisée lors d’une forte miellée :
la production de miel augmente et les abeilles ont besoin de rayons de cire pour stocker le miel,
au printemps avec l’augmentation du couvain,
lorsque la température extérieure est supérieure à 15°C
lorsque les abeilles ont accès à du pollen
s’il y a une reine dans la ruche.
 
La cire est une substance complexe de nature lipidique
La cire peut contenir 300 composés différents (Tulloch, 1980), dont les propriétés physico-chimiques varient peu dans le temps : la plasticité (malléable à température ambiante) ; un point de fusion à 64°C (ce qui différencie les cires des graisses et des huiles qui ont un point de fusion entre 25 et 40°C) ; une faible viscosité lorsqu’elle est fondue (à la différence de beaucoup de plastiques) ; l’hydrophobie (insoluble dans l’eau). La plasticité de la cire apporte une élasticité et en même temps une résistance qui permet aux abeilles de la modeler, la recycler ou la stocker selon les besoins car les rayons de la ruche sont constamment remaniés, mais aussi de pouvoir stocker de grosses quantités de ressources, puisqu’un kilo de cire maçonné pourra recevoir jusqu’à environ 25 kilos de miel. L’hydrophobie (répulsion avec l’eau) de la cire permet aux abeilles de protéger et d’isoler les ressources stockées ou le couvain en développement de l’eau et d’éventuelles dégradations. Par sa nature lipophile(attiré par les graisses), la cire facilite la communication chimique entre les individus de la colonie, et notamment la perception de la présence de la reine par imprégnation et diffusion de la phéromone royale elle-même lipophile.
 
La cire est une pompe de molécules lipophiles
Cette caractéristique a cependant un inconvénient, puisque les cires captent également des substances toxiques pour la colonie, tels que les acaricides utilisés contre le parasite varroa par exemple, ou d’autres contaminants apicoles ou environnementaux (Bogdanov et al. 1999). La qualité des cires dépend de la gestion des ruches par les apiculteurs, et des diverses pollutions environnementales qui peuvent se trouver à proximité de la colonie et des ressources qu’elle récolte (ex : métaux lourds en zone urbaine, pesticides en zone agricole). Il semble y avoir une différence de qualité entre les cires de corps de ruche, de hausses, ou celles qui servent uniquement à operculer les cellules pleines. En effet, les cires d’operculations seraient moins contaminées contrairement à celles des corps de ruche (Tsigouri et al. 2003 ; Persano Oddo et al. 2003).
 
La qualité des cires se dégrade d’une année à l’autre 
la couleur des cires fonce à cause de l’accumulation de matières organiques dans les alvéoles (cocons des nymphes, excréments de larves), et plus le temps passe, plus elle peut contenir des agents pathogènes tels que les spores de loque américaine ou européenne, ou encore de Nosema.
Il est donc recommandé de changer les cires des cadres tous les 5 ans maximum pour garantir un maximum de qualité.
Outre le risque de dissémination d’agents pathogènes, la cire contaminée ou de mauvaise qualité risque d’affaiblir les colonies, d’augmenter les temps de développement des larves et ainsi favoriser la reproduction du varroa, et même provoquer la mort des colonies. Les symptômes observés sont la présence de couvain en mosaïque, des larves rabougries d’âges irréguliers malgré des pontes homogènes, des constructions désordonnées et des difficultés d’acceptation des cires.
 
Des usages divers et variés pour les cires non avariées
La cire est en partie vendue aux apiculteurs pour restaurer les cadres des ruches. En ces termes, la cire n’est pas considérée comme une denrée alimentaire, il n’y a donc pas de seuil à respecter concernant les contaminants de la cire d’abeille. En revanche, le miel en rayons, considéré comme une variété de miel, doit respecter les limites maximales de résidus (LMR) définies par la directive miel. En dehors du cadre apicole, ce produit peut être utilisé comme un additif alimentaire (E901 : chewing-gum, bonbons, enrobage des fruits). Là encore, les LMR sont appliquées. D’après les règlements européens (CE) n°1069/2009 et (CE) n°142/2011, la cire est un sous-produit apicole de catégorie 3 (les moins risqués) dont la transformation requiert un agrément sanitaire délivré par la direction départementale en charge de la protection des populations (DDecPP).
Mais les nombreuses propriétés de la cire, anti-inflammatoire, antioxydante, antiseptique, antibactérienne, antifongique, émolliente, cicatrisante, etc. permettent un large éventail d’autres applications par l’homme. 300 utilisations industrielles sont recensées. Les industries cosmétiques et pharmaceutiques sont les principaux utilisateurs, à raison de 70 % du commerce mondial.
 
Références
Bogdanov, S., Kilchenmann, V., &Imdorf, A. (1999). Acaricide residues in honey, beeswax and propolis. Swiss Bee Research Centre, DairyResearch Station Liebefeld, Bern, Switzerland, 11.
Oddo, L. P., Pulcini, P., Morgia, C., & Marinelli, E. (2003). Organicbeekeeping and acaricide residues in beeswax. Research in the LazioRegion (Central Italy). Apiacta, 38, 40-45.
Tsigouri, A., Menkissoglu-Spiroudi, U., Thrasyvoulou, A., Diamantidis, G. (2003). Fluvalinate residues in Greek honey and beeswax. Apiacta, 38, 50-53.
Tulloch, A. P. (1980). Beeswax composition and analysis. Bee world, 61(2), 47-62.