L’apithérapie : une piste à ne pas sous-estimer pour lutter contre l’antibiorésistance

Nicolas Cardinault

Dans le contexte de pandémie mondiale récente, tous les regards sont encore braqués sur ce nouveau virus et on en oublierait presque une autre menace silencieuse mais bien présente et tout aussi néfaste à l’humanité, arrivée bien avant la COVID-19 et qui sera toujours là quand ce dernier aurait été totalement contrôlé : l’antibiorésistance. Ce phénomène correspond au fait que des bactéries acquièrent des caractéristiques qui leur permettent d’éviter l’action bactéricide des antibiotiques. En France, l’antibiorésistance est la cause de plus de 5000 décès par an et 125 000 patients développent une infection liée à une bactérie résistante (Cassini et al. 2018). L’antibiorésistance serait responsable de 700 000 morts par an. Et si rien ne change, les maladies infectieuses d’origine bactérienne pourraient, selon l’OMS redevenir en 2050, une des premières causes de mortalité dans le monde, en provoquant jusqu’à 10 millions de morts. Alors pour tenter d’enrayer ce phénomène, l’OMS et la FAO ont adopté un plan d’action avec un certain nombre d’axes de réflexions parmi lesquels on retrouve « limiter l’usage des antibiotiques » ou « le fait de soutenir l’investissement pour la mise au point de nouveaux traitements durables ».

La propolis est une substance résineuse récoltée par les abeilles sur les bourgeons, les arbres ou les arbustes dans l’écosystème végétal proche de la ruche. L’activité antibactérienne de la propolis est l’une de ses principales propriétés biologiques largement documentées dans la littérature et qui lui faut sa renommée « d’antiseptique naturel ». Malgré un nombre très important d’études sur le sujet, la seule certitude qui semble exister aujourd’hui s’accorde sur le fait que les propolis (de diverses origines botaniques) semblent plus efficaces contre les bactéries gram+ que sur les gram-. Et comme les principes actifs supposés responsables de cette activité ne sont rarement dosés, les résultats de ces différentes études ne peuvent pas être objectivement comparés. C’est pourquoi l’objectif du travail engagé par l’OFA (Observatoire Français d’Apidologie) en partenariat avec la faculté de pharmacie de l’université de Marseille était de déterminer la Concentration Minimale Inhibitrice (CMI) de plusieurs lots de propolis d’origine botanique différente en fonction de leurs teneurs en principes actifs et de comparer leur activité antibactérienne sur un large panel de bactéries gram+ et gram-. Nous avons testé des solutions hydro-alcooliques extraites selon la même procédure de 3 lots différents de propolis de peuplier vs 2 lots de propolis de Baccharis vs 1 lot de propolis de Dalbergia. Les souches de gram+ testées ont une CMI comprise entre 4.11 et 309.6 µg de polyphénols totaux (PPTx)/ml. Mais, les lots de propolis verte et rouge ont des CMI de 2 à 4 fois plus faibles (donc efficaces) que la propolis de peuplier pour toutes les souches de bactéries gram+. Toutes les souches de bactéries gram-  ne sont pas sensibles à nos extraits. Les souches sensibles (B. bronchiseptica, P. vulgaris, P. mirabilis, S. enterica, S. marescens, E. coli) ont des CMI comprises entre 33.1 et 309.6 µg/ml et sont plus élevées que celles obtenues sur les gram+. Là encore, les lots de propolis rouge et vertes sont 2 à 7 plus efficaces sur ces bactéries que les lots de propolis de Peuplier.

L’alcool étant un frein dans l’utilisation au quotidien de ce type de produit par les consommateurs, il nous est apparu important de rechercher une solution alternative hydrosoluble. Nous avons développé une technique de solubilisation qui nous a permis de conserver l’ensemble du profil polyphénolique des deux types de propolis les plus efficaces précédemment (Baccharis et Dalbergia), avec seulement une perte globale comprise entre 15 et 22% des polyphénols totaux, ce qui est très différent d’une simple extraction aqueuse. Cette baisse globale de polyphénols totaux dans nos extraits hydrosolubles est associée à une réduction de l’efficacité antibactérienne d’un facteur 2 pour la propolis de Baccharis et inversement à une tendance à une amélioration de l’efficacité pour la propolis de Dalbergia pour l’ensemble des bactéries gram+ testées. L’ensemble de ces résultats semble renforcer l’idée que plus que la concentration totale en polyphénols, la présence de seuls quelques composés particuliers et spécifiques à l’espèce botanique de la propolis et à une concentration optimale sont responsables de son activité antibactérienne.

Dans la même lignée, des travaux récents se sont intéressés au potentiel du miel de bruyère et de certains de ses constituants pour bloquer la formation du biofilm bactérien, étape clé dans le mécanisme de résistance aux antibiotiques mis en place par les bactéries. Dans leur modèle prédictif, les auteurs de cette étude observent que l’acide benzoïque présent dans le miel de bruyère présente une très forte capacité de liaison avec la poche de l’enzyme Dsb A de K. pneumoniae (une bactérie fortement impliquée dans les maladies nosocomiales) qui contrôle son ajustement à ses ligands naturels. Cette liaison contribue à rendre inopérant l’enzyme qui ne peut plus assurer ses rôles dans le mécanisme d’antibiorésistance.

Ces différents résultats très prometteurs mériteront d’être renforcés par d’autres études, pour améliorer notre compréhension sur l’efficacité des produits de la ruche pour lutter contre l’antibiorésistance. Le développement et l’utilisation de produits de la ruche efficaces pourraient constituer une alternative crédible aux antibiotiques en première intention.

Référence :

O. Shirlaw et al.  Antibiofilm Activity of Heather and Manuka Honeys and Antivirulence Potential of Some of Their Constituents on the DsbA1 Enzyme of Pseudomonas aeruginosa . Antibiotics. Dec. 2020.

Un produit qui mériterait certainement une plus grande considération : le pain d’abeille  

Nicolas Cardinault

On a souvent coutume en apithérapie, mais pas que, de citer toujours les mêmes produits : miel, pollen frais, propolis, gelée royale, voire venin ou cire. Mais il y a un autre produit qu’il sera bon de prendre en considération à l’avenir car le nombre croissant des récentes recherches à son sujet laisse présager de son utilité nutritionnelle voire thérapeutique : le pain d’abeille. 

 

Le pain d’abeille est la principale source alimentaire de la ruche et en particulier pour les larves et les jeunes abeilles nourricières qui produisent la gelée royale. Le pain d’abeille avec sa couleur caramel, son gout piquant et sa saveur florale est consisté à partir du pollen, de secrétions salivaires et de nectar régurgité de l’estomac de l’abeille déposé en couches successives dans les alvéoles terminé par une couche de miel. Sa fabrication repose sur un processus de lacto-fermentation élaboré depuis des millions d’années dont l’objectif est de conserver la qualité de la nourriture disponible tout au long de l’année. La transformation du pollen en pain d’abeille se produit sous l’influence des processus biochimiques et métaboliques conditionnés par les nombreuses enzymes présentes dans les sécrétions salivaires, les bactéries lactiques et les levures présentes dans le microbiome de l’abeille. 

 

La conversion au pain d’abeille comprend différentes étapes; la 1ère phase dure 12 h au cours de laquelle se produit la croissance d’un groupe hétérogène de micro-organismes incluant des levures. Dans la 2ème phase, les bactéries lactiques anaérobies utilisent les nutriments générés par d’autres levures et bactéries pour se multiplier et pour abaisser le pH du pollen. La 3ème phase se reconnait par la disparition des bactéries anaérobies (Streptococcus) et la croissance des bactéries Lactobacillus. La 4ème phase, qui démarre à la fin du 7ème jour, est identifiée par la mort des bactéries lactiques et de certaines levures du fait de la saturation en acide lactique généré. Le pollen devient alors microbiologiquement stérile atteignant un pH d’environ 4. Le pollen et le pain d’abeille partage donc un certain nombre de nutriments communs mais avec des différences. 

 

Ce processus de fermentation est reconnu pour améliorer la digestibilité et la biodisponibilité des nutriments du pain d’abeille par rapport au pollen. La composition nutritionnelle du pain d’abeille va varier en priorité avec l’origine botanique du pollen et la saisonnalité. Le pain d’abeille frais contient environ 20 % d’eau, de 20 à 30 % de protéines, des glucides entre 15 et 50%, des lipides entre 3 et 10% et un grand nombre de vitamines, minéraux, phytotrons, polyphénols, caroténoïdes, des acides organiques, des enzymes, des ferments lactiques et des levures. On pourra noter que comparativement au pollen, le pain d’abeille contient de la vitamine k, un rapport W6/W3 très favorable pour la santé, une grande quantité d’acide aminé et un certain nombre de métabolites pas encore complètement identifiés résultant du processus de métabolisation bactérienne. 

 

Parmi les différents effets nutritionnels et biologiques décrits dans la littérature, on retrouve ses activités antioxydantes, antimicrobiennes, anti-inflammatoires, voire anti-tumorales. Une étude récente s’est intéressée au nombre et l’identification des différentes souches bactériennes présentes dans du pain d’abeille, ainsi que leurs capacités à inhiber la croissance de bactéries pathogènes. Les auteurs révèlent ainsi la présence de 81 souches bactériennes différentes et dont 42% d’entre elles sont capables d’activité antimicrobienne. Enfin, on citera une étude qui a évalué l’effet d’une supplémentation en pain d’abeille de 4 semaines sur des rats obèses nourris avec un régime riche en graisses (High fat). A la fin de l’expérience, les animaux supplémentés avec 200 mg/Kg de poids corporel de pain d’abeille ont un poids identique au groupe témoin positif (metformine) et inferieur au groupe «High fat ». L’architecture tissulaire de l’hypothalamus est préservée dans la groupe pain d’abeille comparativement au groupe « High fat ». Et les auteurs se sont également intéressés aux « peptides » régulant l’appétit/satiété. Alors que la ghréline secrétée par la muqueuse stomacale stimule l’appétit, la leptine secrétée par le tissu adipeux induit la satiété (suppresseur de l’appétit). Dans cette étude, on observe que la supplémentation en pain d’abeille a limité la baisse sérique et hypothalamique de la ghréline engendrée par le régime « High fat ». On observe le phénomène inverse avec la leptine. L’ensemble de ces données semblent indiquer que la supplémentation en pain d’abeille, un aliment à très forte densité et qualité nutritionnelle pourrait composer un aliment fonctionnel à forte potentialité nutritionnelle et thérapeutique.

 

 

Références

Khalifa. S.A.M., et al. 2020. Recent insights into chemical and pharmacological studies of bee bread. Trends in Food Science & Technology : 97 300–316.

Doganyigit. Z., et al. 2020. The effects of feeding obese rats with bee bread on leptin and ghrelin expression. Turk J Zool : 44: 114-125

Pełka. K., et al. 2021. Bee Bread Exhibits Higher Antimicrobial Potential Compared to Bee Pollen. Antibiotics : 10, 125